Déjà 20 ans que tu nous as dit au revoir …

Depuis quelque temps, j’ai envie d’écrire sur toi, maman… « M’man », comme j’aimais bien t’appeler. Je ne veux pas brasser les souvenirs à propos de tes dernières années à combattre la leucémie, fichue de maladie qui t’a emporté bien trop tôt — 62 ans, mais plutôt sur qui tu étais vraiment. En vérité, je veux te rendre hommage, et te dire à quel point je te suis reconnaissante d’avoir laissé ta marque autour de toi, en nous… Tu as été une magnifique leader, en gardant le cap avec ta boussole interne forte et imprégnée de tes valeurs fondamentales. Tu nous as guidé tour à tour en nous offrant tes cadeaux de la vie en toute simplicité.

Vingt ans déjà. J’ai l’impression que c’était hier — tout va tellement vite. Je continue à me poser beaucoup de questions sur toi, spécifiquement sur qui tu étais vraiment, car je dois avouer que je ne te connaissais pas vraiment. Plus jeune, je te voyais, bien sûr, dans ton rôle de maman, d’épouse et de femme émancipée, et dans ce temps là, je ne voyais pas tes forces, tes valeurs et tout ce que tu voulais de la vie. On n’a pas vraiment eu de relation toutes les deux qui m’aurait permis de mieux te connaitre, en fait pas comme celle que je m’imaginais quand j’étais plus jeune. Notre relation fut difficile et très argumentaire quand j’étais ado, et lorsque j’ai quitté la maison à mes 19 ans, je tournais le dos à quelque chose que je n’arrivais même pas à nommer — un mal d’aimer et d’être aimer que je découvrirais bien plus tard, après ton décès.

Tu as travaillé très fort toute ta vie, comme caissière chez Steinberg, et tu en étais fière, car tu savais que tu donnais plus qu’un service cinq étoiles, tu faisais vivre une expérience unique à tes clients avec ton charmant sourire… Tu les connaissais tous par leur petit nom. Je me souviens, quand tu partais, à pied, les froids matins d’hiver, pour te rendre au travail. Toujours bien mise, élégante, courageuse et vaillante, tu marchais pendant plus de 30 minutes à -20 degrés. Je me souviens de Mme Martin, une nounou que tu avais engagée pour nous garder chez elle, Sylvain et moi. Je me souviens de ton regard quand la porte se refermait — maintenant je sais et comprend — tu as fait de ton mieux.

À vous deux – papa qui travaillait comme manutentionnaire « sur les chiffres » à l’Impérial Tobacco, et toi de jour – vous avez réussi à nous faire vivre la magie de la nature, en nous offrant des vacances d’été avec les chalets que vous louiez avec les sous, que toi M’man, tu ramassais dans tes enveloppes. Tu aurais pu devenir une économiste chevronnée… Ou une ministre des finances vaillante et attentionnée. Et tous les cours de natation, patin, ski, gymnastique, football que toi et papa nous avez offerts — tu as toujours voulu que Sylvain et moi soyons heureux, bien entourés, occupés dans les sports, pour ne pas tomber dans les mauvaises gangs de Verdun.

Puis, un peu avant ta retraite, il y a eu les voyages — tu partais avec papa dans le sud, en Europe avec ton frère Normand et Marie. Et vos petites escapades de week-end dans Charlevoix, Tadoussac… Je me souviens, combien tu aimais planifier ces sorties bien spéciales… ta bulle de paix et de bonheur comme tu disais. Tu sais, M’man, tu m’as aussi laissé ce goût délicieux d’aventures.

Quand mes filles Jennie et Kelly sont nées, notre relation a évolué. Je pouvais constater à quel point tu étais patiente, douce, remplie d’amour et créatrice avec les filles. Je te regardais prendre le temps de prendre du temps. Oui, à certain moment, je me demandais à quoi cela aurait ressemblé si tu avais pris ce temps précieux quand j’étais petite plutôt que de travailler à temps plein. Encore une fois, je sais maintenant que tu as fait de ton mieux et je me dis que je suis extrêmement chanceuse que tu aies été aussi présente pour mes filles. Pendant 4 ou 5 ans, j’ai pu découvrir qui tu étais un peu à la fois. Pas facile de percer ton mystère, car tu te faisais discrète, jamais tu ne te plaignais, toujours calme, humble et sereine. Tu voyais grand pour tes petits enfants, comme une visionnaire, et tu les faisais « grandir » du mieux que tu pouvais en leur racontant des histoires époustouflantes et rigolotes que tu puisais dans ton fabuleux monde imaginaire.

Et, quand tu passais des heures à coudre tous les beaux vêtements pour tes quatre petites filles, sans oublier de coudre les mêmes vêtements pour leurs Barbies, rien ne t’aurait arrêté. C’est fou le talent que tu avais … Tu aurais pu devenir l’associée de Mme Chanel! Tellement touchant de voir ton sourire quand tu offrais tes somptueux cadeaux aux enfants.

Tu aimais aussi « kidnapper » tes petites filles, une à la fois, pour passer du temps précieux avec elles. Sortie sur la rue Ste-Catherine, petit déjeuner dans des bistros coquets, sessions de photos… moments magiques où les filles devaient se sentir bien spéciales!

Tes mémorables virées en vélo — tu aimais tellement partir en vélo sur le canal Lachine — ta liberté pendant des heures… Je revois Jennie qui riait aux éclats, assise dans son petit banc en arrière de toi. Professionnelle dans tes habits de cycliste, tu avais vraiment fière allure!

Et quand tu recevais la famille à la maison, ta belle table, la nappe impeccablement repassée et empesée, la vaisselle du dimanche, l’argenterie, les fleurs et un menu divin et festif — tous ces instants que tu prenais pour nous; à ta manière, tu nous disais « je vous aime ». Tu aimais vraiment faire plaisir, et maintenant je me souviens des étincelles dans tes yeux — amour et bonheur de prendre soin des tiens.

Et, puis la maladie est arrivée, sournoisement. J’ai été témoin de ton sang-froid, de ta force de combat, de ta vulnérabilité, de ton fulgurant lâcher-prise sur les petits détails… De ta beauté à te tourner vers la simplicité des choses. Petit à petit j’ai vu l’étincelle de tes yeux s’éteindre. Tu nous as quitté bien trop tôt M’man.

Je pourrais passer beaucoup de temps à piger dans ma boîte aux souvenirs, tellement il y en a. Mais je me rends compte aujourd’hui que l’essentiel de ce que je veux te dire se passe maintenant, au moment présent.

Tu sais, M’man, tous ses cadeaux de la vie, que tu as semés autour de toi… C’est maintenant toute ta famille qui les déballe et les vit pleinement au quotidien. C’est comme ça que j’arrive à te connaître un peu mieux. Merci pour ta forte valeur familiale, ta résilience, ton courage, ta joie, ta tendresse, ton rire, ton intelligence, ta sagesse, ton empathie, ta générosité, ta naïveté, ton perfectionnisme, ta patience, ta créativité, ton sens des responsabilités, ton don d’artiste, ton lâcher-prise, ton énergie, ta persévérance, ton cœur d’enfant, ton amour des gens, ta liberté…

Je me rends compte à quel point tu es et seras toujours une inspiration pour moi, et certainement pour d’autres aussi. Il y a encore plein de trucs que je ne saurais jamais de toi… quels étaient tes rêves, ton monde idéal, tes passions, ta raison d’être? Mais ce qui est indéniable, c’est que tu es partie en paix. Tu me manques encore terriblement — il y a tellement de choses que je voudrais te demander conseil ou faire avec toi. Quand le cafard me prend, je pige dans les cadeaux que tu nous as offerts et je me souviens de la lueur d’amour dans tes yeux quand tu regardais tes petites filles, et ça suffit pour m’apporter de l’amour et de la paix dans mon cœur.

Et tu sais quoi, M’man… Il y a certainement beaucoup de toi, dans l’aventure que je vis en ce moment, à bord de « Merci la vie ». Merci de m’avoir montré le chemin.  Je t’aime M’man.